mardi 7 octobre 2014

Interview Thomas CAILLEY

Nous tenons à remercier Thomas CAILLEY d'avoir répondu à nos questions sur son film " les combattants".
Nous lui souhaitons le meilleur pour la suite!!!




Combien de temps a duré le tournage?
35 jours. Sept semaines de 5 jours.
C’est une durée « moyenne » pour un film français. Ici le plus compliqué était les incessants changements de décors, car il y a 86 décors pour une centaine de séquences, et nous avions décidé de tourner le film dans la chronologie du récit. Au final, nous nous déplacions à la manière d’une troupe de théâtre itinérante. C’est épuisant, mais cela crée aussi une dynamique, une énergie, toute l’équipe a l’impression de partager l’histoire, de la vivre en même temps que les personnages du film.

Qu'est-ce qui vous a inspiré pour cette histoire ?
La première émotion est un souvenir lié à un décor particulier : celui des Landes de Gascogne. J’ai grandi en Aquitaine, et cela faisait longtemps que je voulais filmer ces forêts et ces lacs immenses. Des terres plates et sans horizon car il y a toujours quelque chose pour venir le couper : une dune, une ligne d’arbres, des habitations... Ces paysages tranquilles sont régulièrement secoués par des cataclysmes : l’hiver ce sont les tempêtes ; l’été les incendies.
Ça a été le point de départ : un paysage tranquille, un lac placide, qui est brutalement percuté par un typhon. Arnaud et Madeleine c’est une collision, la rencontre brutale entre deux éléments contraires. À partir de là, j’ai imaginé le trajet de deux personnages que tout oppose, et qui ensemble vont repousser l’horizon plus loin.

Avez-vous un message particulier à faire passer?
Les combattants est une histoire d’amour, mais c’est aussi un récit d’aventure, une comédie, un film d’apprentissage… Il est impossible de résumer le film à un unique message, mais s’il devait n’y en avoir qu’un, ce serait celui là :
Si le monde tel qu’il s’offre à nous ne nous plait pas, on peut en inventer un autre. On peut aussi s’inventer, se réinventer soi-même. J’aime à penser que Madeleine et Arnaud sont des super héros parce que ce ne sont pas des personnages « finis » : ils tatonnent, ils cherchent, expérimentent, inventent des solutions, ne se contentent pas de ce qu’ils ont. Et par définition, ce qui n’est pas fini est infini.

Pourquoi avoir commencé le film par la scène des pompes funèbres?
D’abord parce que c’est une scène qui s’est imposée à l’écriture, et là il y a quelque chose de mystérieux, un truc un peu magique qu’il ne faut pas forcément intellectualiser ou questionner. On tourne la scène et on se dit « on verra si elle résiste au montage ».
Mais si elle a résisté, c’est parce qu’elle place le personnage d’Arnaud dans un rapport au monde qui m’intéresse : ce deuil inaugural met Arnaud dans un état de flottement où tout est possible. Il flotte sur son matelas pneumatique, il flotte dans son bain. Pourtant, sans qu’il en prenne conscience, sans résister non plus, la réalité (sa place dans l’entreprise familiale) est en train de le rattraper. Et avec elle une forme d’inertie, d’ennui, de norme. C’est là qu’il rencontre Madeleine, et avec elle il va choisir autre chose : la fiction, l’inconnu, la croyance à un truc fantastique qui le dépasse. L’aventure en fait. Arnaud devait être disponible pour cette rencontre, et je crois que c’est le deuil de son père qui lui donne cette perméabilité.

Pourquoi avoir choisi ce titre?
Parce que cette histoire d’amour commence littéralement par un combat. Arnaud et Madeleine se battent, combattent sur le sable de cette station balnéaire. Elle domine, il triche, le combat est inégal, le résultat un peu foireux.
Bref, l’affaire n’est pas réglée, et on se doute que d’autres combats les réuniront. Une heure plus tard dans le film, les deux personnages sont à nouveau au corps à corps sur une plage de sable, mais cette fois ils font l’amour. J’aimais l’idée qu’ils ne cessent jamais de se battre, c’est à dire d’agir, même quand ils s’aiment. C’est d’ailleurs vrai jusqu’à la fin du film. Dans la dernière scène, malgré tout ce qu’ils ont traversé, Arnaud et Madeleine ne sont pas « apaisés ». Ils ne se regardent pas dans le blanc des yeux. Au contraire, leurs visages sont tournés dans la même direction, dans l’attente d’un combat à venir. Ils restent des combattants.

Comment avez-vous choisi les acteurs?
Pour Madeleine je voulais un personnage fort, qui imprime son énergie au récit. J’aime ce sentiment qui accompagne les personnages « bigger than life » au cinéma : quand Madeleine débarque dans une scène, on sait qu’il va se passer quelque chose. C’est elle le moteur de la fiction dans le film, qui bouscule, percute l’univers d’Arnaud, fait bouger les choses.
Avec mon directeur de casting, Stéphane Batut, la première comédienne que nous avions en tête était Adèle Haenel. En casting il a suffi de deux minutes pour être convaincu. Elle m’a parlé d’un entraînement au marathon qu’elle avait fait à Berlin, seule et en plein hiver, complètement sous-équipée, dans la neige. J’aime cette idée qu’on peut goûter à la liberté grâce à des contraintes qu’on est seul à s’imposer. Adèle dégage ça, quelque chose de vif, insaisissable... et elle est très drôle. Sans parler de tout ce que Madeleine fait physiquement dans le film... Or Adèle est une athlète hors-pair. La force du personnage, c’est de ne laisser aucun espace entre décision et action. Madeleine existe dans une pure énergie. C’est ce qui explique son décalage, son comportement parfois inapproprié, maladroit ou violent. Elle ne se pose pas de questions. Quand elle n’aime pas, elle cogne. Quand elle veut s’excuser, elle offre des poussins congelés...
Les qualités d’Arnaud sont plus discrètes, surtout au début du film, où le personnage est encore en retenue, flottant. Ce que j’aime chez lui c’est la façon dont il accueille les événements, sa disponibilité.
Alors que Madeleine est un personnage plein, la partition d’Arnaud s’écrit en creux, dans l’écoute, les regards, la façon dont il observe cette fille, comprend peu à peu qui elle est, ce qu’elle cherche, ce qui l’angoisse. Il y a peu d’ironie chez Arnaud. Il ne juge pas. Mais son regard l’engage, le rend en quelque sorte responsable d’elle, lui donne la force de se mettre en mouvement.
La force de ce regard, c’est quelque chose qui m’a frappé chez Kévin Azaïs. Sa présence et son regard ont une force d’évidence que la caméra capte immédiatement. Il a aussi cette candeur, cette générosité spontanée, qui cachent une vraie sagesse. Avec Claude Le Pape, ma co-scénariste, on se disait souvent que le personnage d’Arnaud « devait avoir besoin d’un film ». Ce qu’on voit de lui au début du récit est une promesse, le personnage va se construire, se définir, devenir un héros de cinéma.

Y aura t-il une suite?
Ce n’est pas prévu, mais j’imagine que l’action se déroulerait après l’apocalypse. Je vois bien Arnaud et ses deux potes déambuler dans un monde en ruine à la recherche de Madeleine. Ils feraient des bivouacs et se nourriraient de poissons-chats.
Et cette fois c’est Madeleine qui les sauverait.